1757. "Laissez-nous la liberté de chasser !" (2)
La liberté de chasser, vraiment ? Au regard des textes consultés récemment aux Archives Départementales de Bouches-du-Rhône, on peut en douter. Nous allons en effet découvrir ce qu’il en est réellement de cette liberté évoquée (voir article précédent), sinon avérée, par les consuls d’Auriol en 1757. Alors, " liberté" ou "permission" de chasser ? Et pour qui ?
"Très haut, très puissant et illustre prince Monseigneur François-Camille de Lorraine, abbé de l’abbaye St-Victor-lès-Marseille, chanoine de Strasbourg" (Doc. Wikipédia).
Souvenons-nous : au départ, vous avez le seigneur abbé de Saint-Victor très remonté contre les pratiques frauduleuses des manants d’Auriol. Son Altesse dénonce "ceux qui faisaient des grenades et qui, étant à l’affût d’une façon si répréhensible, tuaient d’un seul coup de fusil quinze et vingt perdreaux, détruisaient par-là totalement le gibier". Le constat ne souffre aucune contestation. Les Auriolais braconnent à qui mieux mieux, sans se gêner malgré tous les interdits. Mais, est-il dit, "Son Altesse est bien persuadée que les habitants seraient remis dans leur ancienne liberté à cet égard, si la communauté offrait de se soumettre à payer les gages du garde de la chasse qui, dans le véritable sens, n’est établi que pour éviter de semblable dépopulation et empêcher les étrangers de venir chasser dans leur territoire du domaine d’Auriol".
Les consuls, Augustin RAYMOND et Camille-Augustin GIRAUD, l’ont assuré : "les habitants seraient remis dans leur ancienne liberté". C’est là que le bât blesse. Le seigneur-abbé a-t-il réellement fait cette promesse ? Si oui, quel en était le sens profond ? Deux actes notariés consultés nous permettent d’y voir plus clair.
Le fait du prince
Chasse d’Auriol permise à ROUBAUD "sur le fidèle rapport qui lui a été fait des bonnes vie et mœurs du sieur Alexandre ROUBAUD dudit lieu d’Auriol professant la religion catholique apostolique et romaine, ici présent, l’a choisi, nommé et constitué pour chasser au nom dudit abbé…"
D’entrée de jeu, en ce 7 février 1755, donc deux ans auparavant, le notaire MARTINY l’a bien précisé : l’acte qu’il rédige institue la "Chasse d’Auriol permise à ROUBAUD" par le "très haut, très puissant et illustre prince Monseigneur François-Camille de Lorraine, abbé commendataire (1) de l’abbaye St-Victor-lès-Marseille, chanoine de Strasbourg. Lequel, sur le fidèle rapport qui lui a été fait des bonnes vie et mœurs du sieur Alexandre ROUBAUD dudit Auriol professant la religion catholique, apostolique et romaine, l’a choisi, nommé et constitué pour chasser au nom dudit abbé dans l’estendue des domaines du lieu d’Auriol pendant l’espace de neuf années".
Le sieur ROUBAUD bénéficie donc d’une permission de chasser. En contrepartie, il doit "régir ladite chasse et establir un ou plusieurs gardes pour veiller à la conservation de ladite chasse et empêcher toute personne, de quelque estat et condition qu’elle soit, de chasser dans l’estendue desdits domaines". Ceci "à l’exception de nobles Jean-Baptiste Augustin de MORICAUD [et] Gabriel de GASTAUD, écuyer de la ville d’Aix (2), NOUS, notaire, sieur Jean Antoine MARTINY, licencié en droit, notre fils, et tous ceux de notre maison, sieur Louis ESTIENNE, fils de sieur Marc [ESTIENNE] notre neveu, et sieur Jean RAYMOND, marchand drapier dudit Auriol". Voilà, l’intention du seigneur est sans équivoque.
Il n’est nullement question ici d’une quelconque liberté de chasser pour tous mais d’une permission accordée à quelques rares privilégiés nommément désignés, le tout placé sous la tutelle d’Alexandre ROUBAUD qui en est "civilement garant et responsable". Jamais l’expression le "fait du prince" n’a paru autant appropriée…
"Une permission" sous conditions
Cette estampe illustre le sentiment d’exaspération du peuple face à la chasse réservée aux nobles et à quelques nantis. ("Que demande le peuple" – Pierre Serna – Ed. Textuel 2019).
Des conditions draconiennes encadrent ce privilège. D’abord, le respect absolu des "règlements, sur ce, faits (édictés)" ; la chasse sera surveillée par "des gardes dont les frais de réception seront faits auprès de la table de marbre (3) " et auxquels "il sera fourni une bandoulière aux armes de son Altesse". Il sera, de plus, "permis au sieur ROUBAUD de régler et faire régler au nom et aux frais du prince toutes les difficultés que la communauté, les habitants d’Auriol et autres pourraient faire naître à l’occasion de la chasse, et entre les parties". Petite concession : comme Roubaud "se soumet de payer les gages des gardes", "le sieur BALLAT5 lui abandonne toutes les amandes (sic) qui proviendront des procédures qui seront faites, à la requête du prince, contre les délinquants".
Le poids des mots
La signature des deux sergents de la juridiction d’Auriol, Antoine GIRAUD et Jean TREMELLAT, authentifie le texte qui sera introduit, dans sa deuxième mouture, par un titre révélateur :« Permission de la chasse d’Auriol ».
Quant à l’improbable ancienne liberté de chasser, elle pose encore problème. En revenant sur la déclaration, complète cette fois, des consuls, nous voyons qu’ils ont dit avoir "fait deux réflections essentielles aux intérêts de la communauté et à la liberté des habitants. "La première sur la réparation de l’église" – voir plus loin (5). Et l’autre sur les défenses de la chasse qui ont été faites de la part de son altesse depuis deux ou trois ans qui avaient été de tous les temps libres sur cet article". Cette liberté de chasser aurait été supprimée en 1755. Mais a-t-elle jamais existé ? le poids de certains mots étant tout autre, autrefois…
"Permission de la chasse d’Auriol"
Comme nous l’écrivions, la dure réalité s’impose à tous : "Sous l’Ancien Régime, le droit de chasser appartenait au détenteur de la haute justice dont c’était un des principes constitutifs de souveraineté", le seigneur d’Auriol entendant plus que jamais faire respecter ses droits naturels inaliénables en établissant SA "Permission de la chasse d’Auriol". MG Histoire[s] d’Auriol 3
Art. MG © HPHM Nov 2024.
Source : Registre 416 E 348 AD13 folio 4840 verso et suivants, puis folio 4858 et suivants.
1. Un abbé commendataire bénéficie d’une commende c’est-à-dire d’un privilège lui permettant, par exemple et très précisément sur Auriol, de jouir du droit de lods (droit de mutation) de 7,5% sur toutes les ventes de biens roturiers (non nobles).
2. La table de marbre est le nom de la juridiction supérieure chargée, en matière d’Eaux et Forêts, de contrôler, surveiller et juger toutes les activités liées : à l’exploitation des bois, à la chasse et à la pêche.
3. Le deuxième acte notarié, établi trois mois plus tard, le 10 mai 1755, est semblable au premier. A cette différence près qu’il retranche de la liste des privilégiés le nom de Gabriel de GASTAUD, alors que Maître MARTINY ajoute : "tous ceux de [sa] maison".
4.. Le sieur BALLAT, officier de l’ordinaire d’Auriol, "agit d’ordre du sieur Jean-François GIRAUD, procureur-substitut de l’abbé de Saint-Victor, ladite substitution passée devant maître De LALOIRE et son confrère, notaires à Paris, le 8 juillet 1754". La phrase figure en début d’actes ; elle décrit bien l’ordre dans lequel s’est hiérarchisée la décision. Le notaire MARTINY, agent officiel du seigneur auprès de la communauté d’Auriol en 1755, en est le dernier maillon.
5. Au sujet de la réparation de l’église paroissiale pour laquelle était demandée la participation statutaire et obligatoire du seigneur d’un montant égal au tiers de la dépense, vont naître, comme toujours, des contestations sans fin.