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Histoire et Patrimoine Huveaune Merlançon Histoire et patrimoine des vallées de l'Huveaune et du Merlançon

Expositions de grossesse : Justice seigneuriale et prise en charge des femmes enceintes (partie 4/4)

Expositions de grossesse : Justice seigneuriale et prise en charge des femmes enceintes (partie 4/4)...n'auroit jamais voulu consentir, mais l'exposante se voyant persécutée et pressée de la part...
Dossier 6B 593 - AD 13.
 
Expositions de grossesse : 4ème et dernière partie.

Nous l'avons dit : les expositions de grossesse étaient du ressort de la justice seigneuriale. Dans ce cadre précis, le sieur Jean-Baptiste MICHEL LA SALLE, viguier, lieutenant de juge (1), rendait des arrêts de basse justice relatifs à la « consignation » et « séquestration » des femmes, enceintes hors mariage. « Leur prise en charge constituait un instrument majeur dans la lutte contre l'infanticide et l'abandon d'enfants » (2).

Chaque fois que c'était nécessaire, les communautés y étaient tenues envers les femmes exposées, « de leur lieu ». Aucune ne pouvait se soustraire à cette obligation coûteuse. Pour rentrer tant soit peu dans leurs frais, elles tentaient d'exercer un recours contre le père défaillant, quand c'était possible.

L'exposition de grossesse de décembre 1772

Les conditions dans lesquelles toutes les démarches s'effectuaient étaient dûment consignées. L'exposition de grossesse du 21 décembre 1772 pourrait, à cet égard, constituer un cas d'école, la future mère n'ayant pas d'attache précise chez nous. La procédure se déroula, en effet, dans l'auditoire de justice. La requête de la jeune femme fut présentée par la sage-femme d'Auriol. Ce jour-là, Marguerite Caillol, veuve de Jean-Joseph Guis, « sage femme dudit Auriol » présenta Marie L. au sieur Michel La Salle ainsi qu'au procureur juridictionnel. « Agée d'environ dix huit ans », elle « se trouvait enceinte et désirait faire son exposition ».

L'exposé des faits fut une fois encore très détaillé. « Moyennant serment que nous luy avons fait pretter de nous dire la vérité, [elle] nous a exposé qu'il [y] a environ neuf mois qu'elle était au service avec le nommé Jacques C., patron marinier de la ville de La Ciotat ». Il demeurait « pour la plus grande partie de l'année à un battiment et tènement situé dans le terroir de la (illisible) des Lèques ». Et ne voilà-t-il pas que « depuis le commencement du mois de may dernier, le dit C. ne cessait de la poursuivre, en tout tems et en toute occasion, pour la séduire sous de vaines promesses, à quoy elle ne voulait consentir ».

« Mais malheureusement un jour du mois de juin dernier (...), environ sur le milieu dudit mois et environ dix heures du soir », l'irréparable s'était produit, « en l'absence de sa femme ». Suivait, expliquée dans le détail, la description de l'événement. Par la suite, la requérante « aurait eu la faiblesse de le laisser continuer de la connaître, charnellement et toujours dans la bastide, tant tôt d'un cotté et tant tôt de l'autre, ne pouvant assurer combien de fois elle l'a[vait] connue charnellement... ».

Le salut dans la fuite

Au commencement du mois de septembre, la jeune femme déclara à son séducteur « qu'elle était enceinte de ses œuvres ». « Bien loin que celui cy eusse dit effectuer sa promesse, il luy aurait insinué qu'il était nécessaire de prendre quelque chose pour la faire blesser, afin que personne n'en sache rien. A quoy la dite L. n'aurait jamais voulu consentir. Mais l'exposante se voyant persécutée et pressée de la part dudit C. de prendre des remèdes pour la faire blesser, et notamment encore plus vers le milieu du mois de novembre dernier, elle prit le party de décamper et quitter le service dudit C., [de] crainte qui luy fut arrivé quelque chose de pire. »

En dénonçant cette tentative de manœuvre abortive, le témoignage brisait un tabou dont on évitait toujours de parler. L'esprit de conservation et la crainte de mal faire dictèrent la conduite à suivre : le salut était dans la fuite. Imaginez la panique, la détresse de cette pauvre fille, les efforts qu'elle déploya pour se tirer de ce mauvais pas. On ignore comment elle s'y prit pour s'échapper et parcourir une aussi longue distance. Toujours est-il que, « voilà un mois, elle était venue se réfugier dans la maison de Marc-Antoine Riboulet, son beau frère, travailleur de ce lieu d'Auriol, pour faire la présente exposition. » Elle demandait aux deux officiers de justice « de luy en concéder acte afin de prendre telles voyes que son conseil aviser[ait] pour se faire réparer son honneur », selon la formule consacrée.

Faire payer les responsables

Après que le procureur juridictionnel Velin eut pris acte de l'exposition, le lieutenant de juge ordonna que Marie L. serait « consignée et séquestrée entre les mains et pouvoir de Marguerite Caillol, sage femme de ce dit lieu, laquelle icy présente, et sous le serment qu'elle a pretté s'en est bien et duement chargée pour nous la représenter aussi bien que l'enfant dont elle accouchera lorsqu'il sera dit et ordonné ». La sage-femme se substituait de fait à la proche famille en l'absence de celle-ci. La responsabilité de surveiller la jeune femme, de la présenter à toute réquisition, ainsi que son bébé, lui incombait désormais. Pour sa part, la communauté s'engageait à prendre en charge toutes les dépenses. Resterait à récupérer les sommes mises en jeu.

A l'évidence, ce n'était pas le plus facile. L'extrême mobilité de beaucoup de personnes et le flou entourant des identités improbables rendaient la tâche ardue. Comment agir efficacement contre des séducteurs qui avaient pris la poudre d'escampette pour fuir leurs responsabilités, tel « le nommé Antoine garçon boulanger chez Louis Pascal », ou encore « le nommé Claude Bourguignon paysan natif de la Bourgogne » ?

La difficulté fut confirmée par une délibération en date du dimanche 20 mars 1791 (2).

Au sujet de l'argent engagé, le maire d'Auriol, Jean Joseph Séraphin Gastaud déclara : « La municipalité a fourni 33 livres 10 sols pour les frais de couche de Marguerite L., veuve d'Antoine Aymor, maçon, résidente en ce lieu. [Cet argent sera perdu] sauf à la municipalité de récepter la dite somme sur le nommé François V., dit Matelot, travailleur de ce lieu contre lequel [elle] a fait son exposition de grossesse devant Monsieur le juge de paix le 19 février dernier. » Dans la foulée, le maire invitait le conseil municipal à « se pourvoir devant qui de droit, tant contre ledit V. que contre tous ceux qui sont au même cas et qui ont occasionné des dépenses de même nature à la communauté ». Avec des poursuites en perspective...

Des poursuites contre les mauvais payeurs, certes, mais aussi des poursuites plus poussées engagées contre les séducteurs quand, d'aventure, les parents des filles séduites osaient le faire.


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Txt MG (c) HPHM.
Notes :
(1) "Dès le XV°siècle, les seigneurs ne rendaient plus personnellement la justice dans leurs fiefs mais se faisaient suppléer par des juges qu'ils désignaient (...). Les justices seigneuriales étaient étroitement réglementées : conformément à l'ordonnance d'Orléans de 1560, leurs officiers devaient être gradués (c'est-à-dire diplômés en droit) et subir un examen au siège de la sénéchaussée [sénéchaussée d'Aix pour Auriol] avant d'être autorisés à exercer. Les seigneurs ne pouvaient instituer qu'un juge unique dans chacune de leurs justices, un seul lieutenant pour le suppléer, un procureur juridictionnel et un greffier" (Archives 13 > en ligne > Histoire et archives > Archives médiévale et d'Ancien Régime > Justice > Les justices royales et médiévales).
(2) Marie-José BENEDETTI, op. cit.
(3) AM d'Auriol- Registre 2D2/1 - Dimanche 21 mars 1791. Exposition de grossesse. Cette exposition de grossesse fut certainement la dernière, "la publication du Code pénal de 1791 ayant rendu caduque la présomption d'infanticide".
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