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Histoire et Patrimoine Huveaune Merlançon Histoire et patrimoine des vallées de l'Huveaune et du Merlançon

1774, l'année où Maximin Bonifay acheta un banc dans l'église d'Auriol

crimesdepays

En 1774, Maximin BONIFAY profita d’une opportunité providentielle pour s’offrir un banc dans l’église d’Auriol. Ce serait son banc, le banc qui marquerait désormais de manière encore plus ostentatoire sa réussite sociale. Un tel acte de vente, rarissime, crée une raison suffisante de nous y attarder.

Au numéro 21 de la Rue Coulette, le long du Grand chemin, en haut à gauche, la maison de Maximin BONIFAY.

 

Maximin BONIFAY

Pour ceux qui, comme nous, connaissent un peu le personnage, il est évident que Maximin BONIFAY attendait son heure. Nous l’avions déjà rencontré, en 1756, achetant l’office de "garde du gouvernement du duc de VILLARS", gouverneur de Provence. À cette occasion et contre un paiement substantiel, il obtint l’insigne honneur de faire apposer les armes du duc sur la façade de son habitation (cliquez <ici> pour voir l'article). Son rôle consista alors à guider les troupes royales dans leurs déplacements dans le Pays et à faciliter leur hébergement sur place (logement, nourriture des hommes et des chevaux). Tout porte à penser que notre ambitieux "fabricant de carreaux" n’était pas homme à se contenter d’un aussi beau coup. D’autant plus que, si nous en croyons son acte de naissance, Maximin BONIFAY, né à Auriol le 13 janvier 1739, n’avait que 17 ans, quand, en 1756, il accéda à cet office. Ce qui peut rendre perplexe.

Sous la génoise les deux statuettes.

 

Cet obscur objet du désir

Quand se produisit la mise en vente, tellement espérée, d’un banc dans l’église paroissiale, notre intrigant se mit immédiatement sur les rangs. Il ne pouvait rêver mieux qu’un tel siège pour asseoir sa notoriété. L’objet de la transaction figure dans l’acte passé le 28 janvier 1774 en l’étude de Maître Vincent LEGUERN, notaire royal à Auriol. Il s’agissait très précisément du "banc qui se trouve placé dans l’église paroissiale le long du passage de la grande nef faisant face au maître autel". Autant dire dans les premiers rangs ; bien installé à la vue de l’assemblée des fidèles, sans doute non loin du banc des consuls et de celui des fabriciens*.

Baptême – Maximin Bonifay fils naturel et légitime de Nicolas et de Catherine Albanès est né et a été baptisé ce jourdhui treize janvier 1739, le parrain a été Maximin Araine (Arène), la marraine Catherine Cairon, tous illettrés, par nous soussigné Guillache prêtre.

 

Un tel positionnement s’explique : Catherine CAUSSEMILLE, la propriétaire du banc, était l’épouse en secondes noces d’Antoine PASCAL qui le lui avait légué ; il existe sous la désignation : "le banc dépendant de la succession dudit sieur Antoine PASCAL son mary". On pourrait ajouter cette précision qui n’y figure pas : "un banc qui ne pouvait excéder 5 places à raison d’un pied et demi pour chacune". Pour que tout soit en règle, elle en avait officiellement pris "possession et jouissance par exploit" (assignation) présenté deux jours plus tôt au bureau du juge seigneurial, par l’officier BERNARD et contrôlé par Me MARTINY, procureur du seigneur du lieu. Donc, une vente légale et définitive.

 

La transaction

La vente fut effectuée à un prix semble-t-il modique au regard de sa valeur, disons honorifique ; une transaction "faite et passée par ladite Caussemille au sieur Bonifay moyennant la somme de 60 livres ; reconnaissant avoir eu et reçu 24 livres argent comptant auparavant, 36 livres présentement, à sa satisfaction, devant nous, notaire, et témoins". Il faut savoir qu’Antoine PASCAL était le fils de Jean-Antoine PASCAL, un bourgeois qui, pour montrer son importance, s’était offert un blason à son nom. Donc quelqu’un de riche. Dans ces conditions, la vente avait-elle été conclue par la veuve d’Antoine PASCAL faute de descendance ou suite à des difficultés financières survenues après le décès de son mari ?

"Ladite Caussemille se réserve pendant sa vie durant seulement une place pour elle et non pour aucun autre au susdit banc vendu … ladite Caussemille a persisté à ne savoir signer … BONIFAI Jean Louis GUILLEN tisserand Antoine LAMBERT bourgeois (témoins) Et nous LEGUERN notaire.

 

Ajoutons que, au bout du compte et pour manifester sa volonté ultime d’exister aux yeux de tous, "ladite Caussemille se réserv[a] sa vie durant 'une place pour elle' et non pour aucun autre au susdit banc vendu". Son honneur était sauf.

"Enfin arrivèrent les chaises…"…CP Intérieur de l’église Saint-Pierre d’Auriol

 

Pour en terminer avec le sujet, faisons un rapide tour d’horizon avec Gabriel AUDISIO : "Et les sièges, quelle mutation culturelle ! Pendant des siècles, les fidèles restèrent debout à l’église pendant les offices, au mieux ils s’asseyaient par terre pendant les sermons trop longs. Voici que, après les bancs du seigneur et de l’œuvre ensuite, pour les marguilliers ; ceux des fidèles apparurent, sans doute au XVIe siècle. Dès lors, fini la liberté de se déplacer à volonté durant les célébrations ; chacun était désormais rivé à sa place, immobile et fixé pendant tout le temps qu’il passait à l’église. Enfin arrivèrent les chaises, sans doute au XVIIIe siècle, marquant le triomphe de l’individu qui, refusant de se frotter à son voisin pendant les oraisons, éprouva le besoin de s’isoler, dans la foule, pour mieux prier" (Gabriel AUDISIO, Les Français Des Croyants).

 

Plus près de nous et pour en terminer vraiment, voici ce que m’a raconté un ami, Marius ROUBAUD :" C’était dans les années 50-60. Je ne me souviens pas avoir vu des noms de propriétaire sur les bancs, par contre, les notables et personnes aisées avaient un prie-Dieu personnel assorti d’une chaise. Ils étaient placés par deux, en file indienne, entre les colonnes de gauche et de droite de la nef. À la fin de l’office, chaque prie-Dieu était basculé sur sa chaise et, pour certains, cadenassés afin que personne d’autre ne les utilise. Les plus riches possédaient un prie-Dieu rembourré et tendu de velours. Les propriétaires payaient une sorte de loyer à l’église pour l’emplacement. Quelques temps après, les prie-Dieu individuels ont été rendus à leurs propriétaires. Il n’en a plus jamais été question".

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Texte MG © HPHM Mars 2024. Sources : AD13 Registre 416 E 338 et registre paroissial BMS AC Auriol. Merci à Françoise SUZANNE pour ses recherches généalogiques et à Marius ROUBAUD pour son témoignage. Note(s). * Les marguilliers ou fabriciens étaient les membres laïcs du conseil de fabrique, lequel administrait l’église paroissiale.

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