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Histoire et Patrimoine Huveaune Merlançon Histoire et patrimoine des vallées de l'Huveaune et du Merlançon

1767. Le tarif d’Aix sur le pain

crimesdepays

Un simple billet imprimé annonçait ce fameux tarif sur le pain, symbole de la vie qui court, des prix qui grimpent et peuvent s’envoler. Il se présentait sous la forme d’un quart de feuille de papier rectangulaire portant mention manuscrite des décisions arrêtées. Chaque semaine, toutes les communautés sans exception attendaient le rapport des instances municipales d’Aix. Si on espérait son arrivée, on la craignait tout autant. Car l’enjeu était d’importance.

Billet hebdomadaire sur le prix du pain du 1er mars 1767. Le prix de la charge de blé de pays (122,38 kg) est indiqué pour donner une information des plus complètes puisqu’il est à la base du calcul de celui du pain vendu par les boulangers et manganiers (boulangers forains).

 

Des "tarifs" différents

 

Sous l’Ancien Régime, le prix de vente du pain n’était pas "libre". Très tôt, un tarif s’était imposé pour répondre à deux impératifs : que le pain ne manque pas et que son prix ne soit pas trop élevé. Pour les autorités, un pain taxé, donc contrôlé, était l’assurance d’un maintien de l’ordre efficace et de la tranquillité publique. Surtout en cas de conditions climatiques extrêmes pouvant entraîner de mauvaises récoltes, parfois la disette.

Le tarif concernait le prix de deux sortes de pains : le pain blanc pétri avec la meilleure farine "tuzelle" et le pain brun ou bis avec une farine plus grossière.

A Auriol, le tarif en vigueur était celui d’Aix. Ce tarif devait, à tout prix, être respecté même s’il faisait le pain cher car il était calculé en prenant pour base la valeur du "blé de pays", plus élevée que celle du "blé de marine" (en provenance d’Afrique du Nord ou du Levant). Ce "blé de mer" était la base de calcul du tarif de Marseille. Ce qui en donnant des prix différents ne manquait pas de créer des problèmes s’ajoutant à d’autres préexistants.

 

En eaux troubles

Un fournil au XVIIIème siècle. On fabrique désormais plus de pains longs que de pains ronds (Encyclopédie Diderot et D’Alembert).

 

Car les boulangers avaient tout intérêt à avoir le prix de vente le plus haut. A tel point que, quand il était bas, ils n’hésitaient pas à souvent crier au vol. Pour leurs populations, les communautés devaient donc veiller au grain. Des intérêts opposés entraînant des contestations sans fin, une nécessaire vigilance de tous les instants était indispensable :

  • Samedi 1er septembre 1759. Lettre du notaire RICHELME aux consuls d’Auriol, de la part des consuls de Roquevaire : Messieurs, les boulangers de ce lieu prétendent que vous eûtes certifié à FABRE que le pain avait augmenté. Il arriva un autre billet du rapport de la ville d’Aix portant une autre augmentation d’un denier sur le pain blanc. Après cela, ayez la bonté de nous envoyer par un exprès une copie du billet pour le faire publier". Nouvelle missive du même, le jeudi suivant, 6 septembre :"Nos boulangers prétendent que vous avez reçu le Billet d’une augmentation sur le pain depuis deux jours. Si cela est, ayez agréable de nous en donner une copie".
  • Lundi 14 octobre 1771. Lettre de Messieurs COULOMBAUD et COMPS, maîtres boulangers d’Allauch aux consuls d’Auriol : Messieurs, nous vous prions de vouloir bien avoir la bonté de nous certifier le prix que vaut actuellement le pain dans votre communauté et encore le tarif que vous suivez, ce qui nous est d’une nécessité absolue".

De toute façon, c’est bien connu, "les marchands de pain étaient les profiteurs du système. Les prix que fixait le "billet hebdomadaire" leur permettaient de s’enrichir en peu de temps. Si parmi les très grands propriétaires fonciers figurent toujours des boulangers, ce n’est pas un hasard" (1).

Le sieur Perret signale deux diminutions du prix du pain sans toutefois en indiquer le montant, ni le prix de la charge de blé.

 

Une explication en règle

 

La lettre du sieur PERRET, commis à l’hôtel de ville d’Aix, du 10 juillet 1781, en réponse à une accusation portée contre lui par les consuls d’Auriol, va nous ouvrir les portes du processus de communication des décisions aixoises. La demande ayant dû être agressive, la réponse, aigre-douce, l’est tout autant. En témoignent :

1°) Un premier coup de griffe contre Auriol qui a presque toujours demandé ce service à Monsieur PONTIER, son agent à Aix. : "Messieurs, J’ai toujours ouï avec surprise que votre communauté ne se soit pas mise à l’instar de toutes les autres de la viguerie qui ont toujours, au moyen d’une modique rétribution, qui n’est rien pour une communauté, d’être exactement avisée sur cet article si intéressant au public

2°) La suite qui est du même tonneau :"Je suis chargé depuis 25 ans de cette partie, et personne n’est à même d’aviser aussi exactement parce que du moment que Messieurs les commissaires ont signé leur rapport que j’enregistre, j’ai toutes mes lettres préparées et n’ai qu’à remplir les prix et la date. Cette opération peut me tenir demi-heure. Les lettres vont tout de suite à la Poste. Ce qui fait que vous êtes presque aussitôt avisés que vos boulangers. Parce que le rapport, qui ne se fait que le samedi au soir, n’a lieu ici que le lundi d’après, vos lettres partant le dimanche. Et vous êtes par conséquent presque aussitôt avisés qu’eux". (Donc, quoiqu’on prétende, personne ne peut aller plus vite que moi, sieur PERRET).

3°) Cette remarque insidieuse qui pourrait prêter à sourire :"Quant au prix, c’est 12 livres par année. Toutes les communautés un peu considérables les donnent, comme Aubagne, La Ciotat. Il est vrai que Roquevaire ne donne que 6 livres mais c’est depuis 25 ans que je les avise, et comme du depuis tout a doublé, je me propose de leur en écrire. Cette somme n’est pas bien considérable eu égard à l’importance de l’objet, d’autant que vous donniez ces 12 livres à Monsieur PONTIER, [votre] procureur qui, malgré ses soins ne pouvait vous aviser exactement".

4°) Maintenant, cette précision : Mais "Si tel est votre dessein [d’accéder à mon service], vous aurez la bonté de le faire délibérer par votre Conseil, de m’en faire part et j’en prendrai note et pour lors vous pourrez vous reposer sur mon exactitude, car je ne pourrais vous manquer sans manquer à plus de trente communautés et même à la nôtre [Aix] et n’écouter en aucune façon vos boulangers". (Il apparaît ainsi que, d’une part le sieur PERRET ne peut refuser la demande des Auriolais, sa fonction étant des plus officielles ; d’autre part qu’il est complètement responsable de ses actes, lui).

  Et enfin 5°) une dernière explication de haut vol : "Par l’avis que j’ai remis aujourd’hui à votre porteur, vous verrez que le pain blanc, sur le pied du rapport, doit se vendre 34 deniers, vos boulangers peuvent vous dire qu’il vaut cependant 35 deniers à Aix, ce qui est vrai pour la raison que les boulangers d’Aix étant obligés de moudre leur blé à Salon à cause de la sécheresse, Messieurs les consuls leur ont accordé un denier de plus (…) mais cela ne regarde que les boulangers d’Aix et si la même raison a lieu dans des autres endroits, ce sont Messieurs les administrateurs de ces endroits à leur accorder ce denier de plus. Et non pas Messieurs les consuls d’Aix. Et dans tous les cas, je vous enverrai les prix portés par les rapports.

  J’ai l’honneur de vous offrir en corps et en particulier mes services en cette ville et d’être avec respect, Messieurs, Votre très humble, etc."

Dans sa lettre du 10 juillet 1781, si le sieur Perret fait preuve d’une belle vivacité de jugement, sa signature apparaît plutôt bien fatiguée…

 

Par cette lettre personnelle, le commis de la ville d’Aix a tenu à exposer longuement la précision et la rigueur de son travail. Sa tâche ne supporte pas l’à-peu-près. Même en période de calme, les rumeurs les plus folles peuvent être lancées à partir de fausses informations. D’où son intervention. On le savait parfaitement : "La sûreté publique n’est jamais plus exposée que dans les temps que/où l’on manque de pain, où l’on ne peut en avoir qu’avec peine" (2).

Les boulangers d’Allauch en quête d’informations.

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Art. MG © HPHM 1/2023

Notes et sources :

(1) Les explications données proviennent essentiellement de l’ouvrage de René BAEHREL "Une croissance LA BASSE PROVENCE RURALE de la fin du XVIe siècle à 1789 (Ed. EHESS 1988) ; les lettres des AC d’Auriol - Liasse HH5.

(2) "Traité de la Police" – Delamare 1719 in Conflit politique en France Révolte frumentaire Louise A. Tilly - Annales 1972.

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