La papeterie de Pont-de-Joux, entre Auriol et Roquevaire (13) existe depuis le milieu du XVIIe siècle. Elle a longtemps été un des plus importants fleurons industriels de la vallée de l'Huveaune à deux pas de la confluence avec le Merlançon. Le but de cet article est d'apporter quelques précisions supplémentaires à partir de documents rarement exploités, on trouvera par ailleurs des renseignements complets sur cette fabrique (1).
Cette carte postale publiée vers 1900 représente une partie des locaux de la papeterie de Joux. La vue est prise depuis l'entrée du pont de Joux. Vous apercevez sur la droite la demeure des propriétaires, la famille DELESTANG. Bordant la route départementale 560, cette belle maison de maître se dresse une trentaine de mètres avant le pont qui enjambe l'Huveaune ; elle a été construite en 1845. Le parc de la papeterie s'ouvre sur la RD par le portail de droite. La partie la plus ancienne est vraisemblablement la bâtisse de gauche, flanquée d'un imposant contrefort destiné à consolider la construction. Au deuxième plan, le bâtiment central date lui aussi de la première moitié du XIXe siècle. La papeterie des origines se trouvait rive gauche.
1900. Un prospectus très bavard
Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, ce premier document n'est pas un buvard. Peut-être un prospectus publicitaire ou encore une simple étiquette (21 cm sur 13,50. D'entrée de jeu, votre regard est attiré par la "marque déposée" : le dessin réaliste d'un oiseau des pays méditerranéens, "Le Loriot", armes parlantes de la commune d'Auriol. Tout de suite après, vous êtes appelés à lire le texte qui l'encadre. D'abord, à gauche, le nom de l'usine "PAPETERIE du PONT de JOUX", souligné de deux traits. Ensuite, en caractères plus petits, "Usine datant de 1600", pour insister, mine de rien, sur le sérieux et la notoriété de fabricants dont les produits et la renommée ont traversé les siècles.
Les caractères arabes de la partie de droite nous interpellent. La papeterie de Joux travaille pour les colonies françaises, sans doute d'Afrique du Nord. Traduction de la partie du texte écrite en arabe, de droite à gauche : "Usine fondée en l'an 1018 de l'Hégire (2), papier d'emballage de marque [déposée Le Loriot] de haute qualité et renommé. Solide. Ne se déchire pas. Une bonne affaire !". Idée pour idée, ce sont à quelque chose près les mots placés sous le masque typographique de la partie gauche. En caractères plus grands, bien visibles, le nom des fabricants et leur adresse occupent le bas de la feuille : "les fils [Henri et Jules] de henri delestang", sans majuscules, "AURIOL (B.-du-R.)". Imprimerie "LABORIE TOULOUSE". Le document suivant va compléter notre information déjà bien avancée.
1945. Une lettre
Le 22 octobre 1945, le nouveau maire d'Auriol, Marius PASCAU, reçoit une lettre envoyée par Henri DELESTAND. L'en-tête de la feuille nous intéresse. Il reprend dessin, graphisme et texte du prospectus. Surtout, il nous confirme que l'entreprise emploie des agents commerciaux en Afrique du Nord (Algérie, Tunisie), en Corse (Sartène) et à Marseille. Son numéro de téléphone, le 14, est l'un des premiers attribués à Auriol, c'est dire son importance ; la Mairie a le numéro 6, l'Hôtel Dauphin le 31. D'autres renseignements y figurent : Télégrammes, Registre du Commerce, etc.
L'objet de cet envoi n'est pas anodin. M. DELESTANG pointe un risque récurrent. Il signale à nouveau "le danger d'envasement que fait courir le dépotoir des ordures ménagères de la commune d'Auriol aux installations hydrauliques et canaux dépendant de [son] usine. A cette époque, le tombereau municipal de ramassage des ordures ménagères déverse en effet quotidiennement tous les déchets de l'agglomération directement sur les berges de l'Huveaune, à droite de l'entrée du pont de Saint-Claude (côté Auriol). Si bien que "Aujourd'hui, poursuit le fabricant, la situation est encore aggravée à cause du dépotoir qui envahit les deux tiers du cours de la rivière d'une part et de la situation météorologique qui menace, d'autre part. Avec ce constat : "Aussi faisons-nous toutes réserves pour destruction de nos berges, de nos barrages, envasement de nos canaux et travaux de curage". Le problème ne sera réglé qu'une quinzaine d'années plus tard par l'achat d'un nouveau terrain, l'actuelle station de transfert des ordures ménagères.
1816. Un document d'archives
Un nouveau document (AC Auriol – Liasse 2f2 – 1816/1827) nous en apprend un peu plus. Il s'agit d'un état recensant les activités industrielles situées sur notre territoire communal. Au chapitre papeteries, nous trouvons :
"1°) deux papeteries dont les propriétaires fabricants sont le sieur LAGRANGE [Moulin-de-Redon] et le sieur ROBE [Pont-de-Joux].
2°) Nombre d'ouvriers : le sieur LAGRANGE emploie 31 ouvriers, un tiers en femmes, deux tiers en hommes. Le sieur ROBE emploie 14 ouvriers dont 8 hommes et 6 femmes.
3°) Prix moyen des ouvriers : pour les hommes 1 F 50, et pour les femmes 60 centimes par journée.
4°) La valeur du papier Raisin et autres papiers Blanc est de 100 francs le quintal métrique, le commun est à moitié prix du Blanc.
Observations : Le produit n'est point exporté à l'étranger (Afrique du Nord ?) à cause de l'interruption du commerce".
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MG (c) HPHM 2018. Les "voix du patrimoine.net" ont publié un article similaire, mais présenté sous un autre angle, de notre ami et contributeur Jean Le DANTEC. Nous vous invitons à en prendre connaissance.
Ultimes renseignements :Au début du XVIIe siècle, Jean de SALOMON, conseiller au Parlement d'Aix, avait inauguré une papeterie au quartier de Joux. (René VERRIER – Petite Histoire d'Auriol).
Dernier jalon à prendre en compte : la papeterie de Joux, qui ne comptait plus que 10 ouvriers, cessera toute activité en 1970.
Renseignements complémentaires :
(1) Comme indiqué, on trouvera tout (ou presque) et à des titres divers sur la papeterie de Pont-de-Joux dans les publications suivantes :
a. "Auriol en Provence" Tome II, Bruno CARPENTIER, éd. Caractère, Marseille 2007.
b. "Joux à Auriol, huit siècles d'activités avec l'Huveaune" Jean LE DANTEC et Jean MAZET, ASPA 2010.
c. "Quand tournaient les moulins d'Auriol... Quand prospéraient les usines..." Christiane SMANIOTTO, ASPA 2016.
(2) "Usine fondée en l'an 1018 de l'Hégire" : le mot Hégire signifie "émigration". Le 16 juillet 622, date du départ de Mahomet pour Messine, marque le commencement du calendrier musulman.
(3) Remarque : papeterie que l'on devrait, semble-t-il, écrire papèterie, avec un accent grave continue de l'être sans. Quant à l'intitulé de la carte postale des Editions Lacour, "Usine de Jous" et non "Usine de Joux", il semblerait prouver que le photographe qui a pris le cliché a retranscrit le nom du lieu tout simplement comme il l'a entendu prononcer par les gens d'ici.
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