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Histoire et Patrimoine Huveaune Merlançon Histoire et patrimoine des vallées de l'Huveaune et du Merlançon

1561 : c'est la foire !

C'était donc "la foire" en vallée de l'Huveaune en 1561 ? Pas forcément, contrairement à ce que le titre de cet article a pu faire croire. Car il n'y avait peut-être rien de désordonné ni de confus à Auriol en ce milieu de XVIe siècle... En fait, cet intitulé vise plutôt à souligner le caractère particulièrement formel et contraignant d'un texte* accordant à perpétuité un privilège à Auriol avec la création d'une manifestation commerciale bien encadrée, "la Foire du jour et fête de l'Exaltation de la Sainte Croix".
1561 : c'est la foire !Le titre du décret royal l'indique. Il s'agit d'une "Lettres Patentes" (on notera le pluriel), c'est-à-dire d'un édit destiné à être communiqué à tout un chacun, contrairement à une "lettre de cachet" dont le contenu doit rester secret. Au mois de janvier, donc, "l'an de grâce mille cinq cent soixante un", en la résidence royale de Saint-Germain-en-Laye, le roi de France, Charles IX, accorde des lettres-patentes portant création à Auriol d'une foire qui se tiendra, perpétuellement, le 15 septembre de chaque année. Découvrons-en la teneur.
1561 : c'est la foire !
Nous, Charles IX

"Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, comte de Forcalquier et terres adjacentes, faisons savoir à tous, présents et à venir, nousavoir reçu humble supplication de nos chers et bien aimés les consuls, manants et habitants du lieu d'Auriol, en notre pays et comté de Provence*, contenant que ledit lieu d'Auriol est un bon et gros bourg, bien peuplé et habité de(s) maisons et bons marchands, situé et assis en bon fertile et commode pays, au moyen de quoi serait bien, requis et nécessaire que, pour le bien et utilité de la chose publique, [il] y eût audit bourg une foire l'an." (...).
 
Remarques. D'abord, le texte, d'une structure strictement codifiée, est écrit en français et non en latin. Ensuite, le roi Charles, souverain de droit divin, énonce ses titres : "comte de Forcalquier, "notre pays et comté de Provence"* et "terres adjacentes"*. Puis, utilisant le "nous" de majesté, il indique la qualité des demandeurs qui lui ont adressé une supplique (ses "chers et bien aimés" "manants" d'Auriol"). Leurs raisons paraissent convaincantes : ils habitent, selon leur dire, un "bon et gros bourg", "bien peuplé", "assis en bon, fertile et commode pays", autant d'arguments favorables à l'attribution d'un privilège humblement sollicité. D'où une décision solennelle.
 
La décision royale
1561 : c'est la foire !
[C'est] pourquoi, nous, ce considéré, inclinant libéralement à la supplication et requête desdits suppliants, avons audit lieu et bourg d'Auriol fait et créé, érigé et établi, et par la teneur de ces présentes de notre certaine science, grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, faisons, créons, érigeons et établissons une foire l'an, le lendemain de la fête de l'Exaltation [de la] Sainte-Croix, quinzième jour de septembre, pour, ladite foire, être dorénavant, perpétuellement et à toujours entretenue, gardée et observée audit lieu et bourg d'Auriol".
 
Remarques. On note ici l'accumulation de nombreux mots synonymes ("avons fait, créé, érigé et établi") et leur répétition (faisons, créons, érigeons et établissons) sans doute afin d'exprimer toutes les nuances d'un énoncé susceptible d'interprétation, et ainsi écarter toute ambiguïté, tout procès. En somme, une manière d'insister : "on vous le dit avec précision et on vous le répète pour que notre volonté soit bien comprise". On note aussi l'emploi de mots forts ("science (certaine)", "grâce spéciale", "pleine puissance et autorité royale") destinés à rappeler la grande sagesse et la puissance du monarque. En somme, le texte reprend et martèle des formules ancestrales qui, soumises à l'épreuve du temps, ont démontré en maintes circonstances leur incontestable bien-fondé. Vu tout ce qui précède, la suite arrive logiquement.
 
Notre volonté et (bon) plaisir
1561 : c'est la foire !
Voulons et nous plaît que tous marchands, fréquentant foires et marchés, y puissent aller, vendre et échanger toutes manières de marchandises licites et convenables, et qu'ils jouissent et usent de tels et semblables privilèges qu'ils ont accoutumé faire en autres foires et marchés de ce royaume pourvu que, à quatre lieues près, n'y ait le dit jour aucune autre foire".
 
Remarques. Dans le même temps, ce privilège est aussi accordé aux marchands qui peuvent "aller, vendre et échanger" (encore et toujours le même procédé) avec deux conditions expresses soumises à l'avis et au contrôle des services de l'Intendance et du Parlement : 1 - la vente de marchandises licites et convenables ; 2 - pas d'autre foire le même jour à une distance de quatre lieues (une vingtaine de kilomètres), pour laisser liberté au commerce.
 
Modalités d'application

Pour en terminer (et dans le même style tumultueux dont nous vous épargnons la lecture), le roi donne ordre à toutes les autorités du pays de Provence et en tous endroits, "incontinent et sans délai", qu'elles "laissent lesdits suppliants jouir et user pleinement, paisiblement et perpétuellement de ce privilège", "ores (maintenant) ou pour le temps à venir". Et ceci, "sans leur faire (...) souffrir aucun ennui, trouble, destourbier ou empêchement".

Toutes ces injonctions sont énoncées pour écarter tout contretemps et faire rapidement passer dans les faits la volonté royale : " crier [la foire] à son de trompe et cri(s) public(s), en lieux, villes, bourgs et villages à l'entour, ensemble construire et édifier halles, logis, bancs et étaux (singulier pluriel du nom étal !) pour tenir à sûreté et à couvert les marchands avec leurs marchandises". Enfin et surtout, "car tel est notre plaisir et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours".
1561 : c'est la foire !
L'édit s'achève sur ces mots : "Nous, avons fait mettre notre sel (sceau) à ces dites présentes [Lettres]" sauf à perdre notre droit et le droit d'autrui. "Donné à Saint Germain en Laye au mois de janvier l'an de grâce mil cinq cens soixante un et de notre règne, le deuxième." En toute rigueur, cet édit, dûment enregistré par le parlement d'Aix le 5 août suivant, soit sept mois plus tard, sera par la suite mis à exécution.

Mais voilà que, en contrepoint, cette foire, supposée "perpétuelle", n'existe plus depuis des dizaines d'années. Et que, supposée se dérouler le 15 septembre (pour ne pas gêner les cérémonies religieuses du 14), elle sera, jusqu'au début du 20e siècle, connue sous le nom de "Foire du 14 Septembre", date à laquelle elle aura effectivement lieu une fois l'an. Comme quoi...
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MG (c) HPHM 2021.
Renseignements complémentaires :
* Signalée par Maurice RAIMBAULT, la transcription du texte figure dans nos archives communales (Registre AA3) sous la dénomination "Livre Blanc".
* Le comté de Provence. En 1481, quand Charles III – héritier du roi René – lègue la Provence à la France, la province reste en possession de ses libertés et de ses privilèges. Son statut est celui d'un "Pays" lié d'égal à égal au royaume, comme l'est principal à un principal. A partir de ce moment, le roi est chez nous considéré comme comte et non comme roi. D'où le titre de comte de Provence qui figure dans toutes ses décisions concernant le "Pays".
* Les terres adjacentes étaient des territoires – tels Marseille, Arles, Les Baux et autres – bénéficiant d'une grande liberté car relevant directement de l'autorité de l'intendant de Provence, représentant du roi.
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