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Histoire et Patrimoine Huveaune Merlançon Histoire et patrimoine des vallées de l'Huveaune et du Merlançon

1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d'Auriol

1722. Mémoire de l'état présent de la communauté d'Auriol. Quelque temps avant le clash de juillet 1720, les consuls auriolais établirent un "Mémoire précis de l'estat présent de la Communauté d'Auriol, & de son insuffisance non seulement à payer les anciennes dettes, les Impositions du Roy & du Païs, mais encore celles qu'elle a nouvellement contractées à l'occasion de la Contagion". Ce document déterminant est unique en son genre.
1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d’Auriol
Son "estat présent" après la Contagion
 
"La contagion a commencé dans Auriol dès les premiers jours d'octobre 1720 ; elle y a continué jusqu'au 19 septembre 1721. Dans l'acte déclaratif du rétablissement de la santé du 23 décembre 1721, envoyé à Messeigneurs le Marquis de BRANCAS et Intendant, et à Messieurs les Procureurs du Pays, on a marqué le progrès, la diminution et la cessation du mal, le nombre de morts et des maisons et bastides infectées, et la manière dont on a exécuté la désinfection générale qui a été faite. La communauté a entretenu des hôpitaux où les malades, qui étaient enlevés des maisons et bastides, ont été traités.
 
A la fin du mois de mars 1721, on a commencé d'enfermer dans un endroit de quarantaine les parents des malades et ceux qui avaient communiqué avec eux. Auriol étant tout ouvert, la communauté l'a fait fermer le mieux qu'il lui a été possible, ayant fait boucher tous les trous, portes et avenues qui pouvaient communiquer dans le lieu, a établi une garde à sa solde tant dans le lieu – pour veiller à tous ces endroits et garder les portes du lieu – qu'au terroir pour éviter les progrès du mal. Il a été fait trois quarantaines générales, pendant lesquelles la communauté a nourri la moitié des habitants."

Vivre le confinement

"Auriol et son terroir ont été consignés depuis le mois d'octobre 1720 jusqu'au 23 février 1722. Pendant tout ce temps, son petit commerce a été interdit à ses pauvres habitants qui, avec leurs bêtes – la plus grande partie bourriques (ânes) – gagnaient leur subsistance journalière et celle de leur famille en voiturant du bois, des sarments, grain et autres denrées des lieux circonvoisins, à Marseille et autres lieux de la province, auxquels il a fallu que la communauté l'ait fournie.
 
Pendant tout ce temps de contagion, les habitants d'Auriol n'ont pu vendre leurs fruits. Le terroir qui n'est soutenu que par des murailles – et dont les factures (travaux) ne peuvent être faites qu'à bras d'hommes, ce qui cause une dépense très considérable – ne donnait pas du blé pour le tiers de ses habitants. Et la grêle y ayant fait du ravage, et aux raisins qui est la seule denrée qui y abonde le plus, pendant deux années avant la contagion, [la communauté a perdu] pour soixante mille livres suivant le rapport qui en fut fait par le sieur BONFILLON, commis par Monseigneur l'Intendant ; et pendant ledit temps de contagion, les particuliers ayant été obligés de répandre presque tout leur vin, les consuls n'ont pu faire lever la taille qu'ils avaient imposée pour satisfaire aux ordres qu'ils avaient reçus [du Roy et du Païs de Provence].
1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d’Auriol
Une communauté très endettée
 
"La communauté est engagée de soixante mille livres pour les anciennes dettes, elle est en demeure des intérêts depuis 1719. Elle est de plus engagée pour une pension féodale et annuelle à Monseigneur l'abbé du Vénérable monastère Saint-Victor-lès-Marseille, seigneur dudit lieu, de 150 charges de blé et de 400 livres en argent ; elle est en demeure (en retard) de deux années de ladite pension, les moulins et les fours fournissaient cette quantité de blé et d'argent ; mais depuis la perte de 1 319 personnes, le produit a diminué de la moitié.
 
La peste s'étant déclarée dans Auriol au mois d'octobre 1720, il a fallu pourvoir aux besoins des habitants, dont le plus solide revenu est leur travail, survenir (subvenir) aux dépenses excessives qu'entraîne l'établissement et entretien des hôpitaux, maintenir le bon ordre par une garde exacte, prendre de précautions pour le progrès du mal, et tâcher par toute force de voie de le faire cesser : dans cette terrible conjoncture, la communauté, épuisée, sans argent, sans secours, fut obligée de recourir à de nouveaux emprunts, et se trouve aujourd'hui surengagée de quarante mille livres, dont :
partie sont dues pour arrérages (retards) d'imposition du Pays au sieur CONSTANT, receveur de la viguerie qui en demande le payement,
et partie pour les dommages intérêts prétendus par divers particuliers dont les propriétés, bastides, et maisons ont été prises pour les hôpitaux et pour l'utilité publique, et endommagées pendant la contagion,
- et partie aux commissaires et autres, employés par la communauté."
1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d’Auriol
Des particuliers créanciers
 
"De cette somme de 40 000 livres, il en est dû vingt-quatre mille quelque cent livres à nombre de particuliers, aux uns pour prêt volontaire de blé et mescle (mélange) à un haut prix, aux autres pour prix de moutons et chèvres, aux autres pour argent comptant, qui s'étant trouvé dans la maison de leurs parents morts de la peste, qui n'ont laissé que pupilles, fut remis par les consuls entre les mains de leur trésorier, et aux autres enfin pour emprunt en force en qualité d'aisés.
 
La plupart de ces créanciers se sont pourvus contre cette communauté, ou par-devant Nosseigneurs de la Cour [de justice du Parlement de Provence], ou par-devant le sieur juge [seigneurial] de ce lieu ; en sorte que les frais qui se font en divers tribunaux achèvent de ruiner cette pauvre communauté, et le produit des denrées dont les habitants ont été privés pendant tout le temps de contagion, et surtout de celle du vin, ne peut suffire pour acquérir celle du blé ; cette observation rend la communauté impuissante à satisfaire son contingent [d'impôts] qui regarde le Roy et le Pays, à acquitter les anciennes dettes, encore moins les nouvelles qui sont toutes à jour ; la perte de la moitié des habitants, si on ajoute ceux qui ont quitté le lieu après la déconsignation, la plupart paysans, muletiers, et voituriers occupés à la culture de la terre, réduit une grande partie du terroir en friche."
 
Cette pauvre communauté...
 
"Ceux qui ont échappé à la contagion n'ayant pu vendre leurs fruits (récoltes) se sont épuisés à acheter fort chèrement le blé et la viande qui leur étaient nécessaires ; le vin qui est la seule denrée sur laquelle on puisse compter, et qui doit fournir à la facture des biens et à l'acquittement des charges, est actuellement à un vil prix, et il y a apparence qu'il n'enchérira pas de longtemps.
1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d’Auriol
Par toutes ces considérations, les consuls d'Auriol concluent à ce que le Roi ou la province accordent quelque soulagement considérable à cette pauvre communauté, une des plus maltraitée et, de plus, longtemps affligée ; et que pour les dettes à jour dont elle pourra être chargée, le seigneur Intendant ou Messieurs les procureurs du Pays, pères et tuteurs des communautés, obtiennent de qui de droit, un arrangement pour arrêter les poursuites de ce grand nombre de créanciers dont les frais et exécutions tendent à ruiner entièrement  ladite communauté."
CAMERON et BISSAREL, consuls

Unique en son genre
 
Un contenu particulièrement explicite fait la richesse des cinq pages de ce document imprimé (AC Auriol FF5), qui relate les diverses phases de la peste à Auriol, des premières heures à son dénouement. Tout est dit avec précision : les mesures de protection, la lutte contre la maladie, les dépenses engagées, les difficultés rencontrées jusqu'à la quasi "ruine" de la communauté et son recours forcé aux autorités supérieures pour obtenir de l'aide.
 
Des indications on ne peut plus révélatrices pointent çà et là. Ainsi, nous apprenons – et c'est nouveau ! –la date exacte du commencement de l'épidémie : "dès le début du mois d'octobre 1720". Jusqu'alors, on le situait "en octobre" pour se donner de la marge, puis "le 15 octobre". La nouvelle donne conduit à porter un regard nouveau sur le diagnostic délivré par Claude SALLIER. En effet, le 4 octobre 1720, "faisant la visite à vue d'œil, à chair nue, de 4 pas loin" du cadavre de la femme d'Antoine PLUMIER, il "dit et déclare que la défunte n'est point décédée du mal de la peste car elle n'a aucun bubon aux aisselles ni aux esacs (?) en ses membres". De même, le 28 septembre précédent , la "visite" du cadavre de François ESTIENNE a été déclarée "négative" avant qu'il soit "enterré dans une fosse à 50 pas loin de la bastide" où il a été "traîné par les personnes qui y étaient en quarantaine". Autant de remises en question.
 
D'autre part, nous voyons tout le soin apporté à la protection du bourg. Il a fallu "boucher tous les trous, portes, et avenues (arrivées) qui pouvaient communiquer dans le lieu". Tous les "trous", c'est-à-dire les fenêtres et soupiraux des maisons, percés dans le rempart et qui s'ouvraient vers l'extérieur. A ce moment, nous discernons un semblant d'autocritique, ou du moins une tentative d'explication du bilan catastrophique de la peste chez nous :"Auriol étant tout ouvert (donc très difficile à protéger) la communauté l'a fait fermer le mieux qui lui a été possible". Ce qui laisse libre cours aux supputations.
1722. Vivre le confinement en vallée de l'Huveaune, l'exemple d’Auriol
Pour justifier des dépenses "énormes", il est indiqué que "pendant tout le temps de la contagion, les habitants n'ont pu vendre leurs fruits (leurs récoltes). Explication : "le terroir n'est soutenu que par de murailles (les restanques, gradins de terre ou bancaous) dont les factures (travaux) ne peuvent être faites qu'à bras d'homme". Ce qui est vrai. On remarquera cependant que les consuls omettent de parler des terrains fertiles de la vallée de l'Huveaune, le but affiché étant d'obtenir des aides, quitte à faire l'impasse sur des données inopportunes.
 
De plus, on sait qu'à Auriol, en temps normal, on cultive le blé et la vigne et voilà, au détour d'une phrase, que surgit un détail éloquent : "Pendant ledit temps de la contagion, les particuliers [ont] été obligés de répandre presque tout leur vin, ..." Comme de nos jours le lait déversé, les fruits mis en décharge, la pêche hauturière bradée ("à un vil prix")... On aura, enfin, noté tout au long du texte l'accumulation d'expression qui concourent à forcer le trait : la communauté a eu "une garde à sa solde", "nourri la moitié des habitants", elle "n'a pu faire lever la taille" ; elle compte "20 000 livres pour les anciennes dettes", doit "une pension féodale", et "le produit de ses moulins et fours a diminué de la moitié" etc. etc. de quoi donner le tournis. Il ne restera plus aux autorités qu'à répondre aux attentes formulées !
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MG 05/2020 (c) HPHM
Pour retrouver les circonstances dans lesquelles ce document a été produit, on pourra relire avec profit, dans notre rubrique "Archives", les articles des 26 octobre et 17 décembre 2016 : 1722 – "Épreuve de force en vallée de l'Huveaune". et ici pour le second.
 
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